Français plus bas
Gabrielle Brassard-Lecours is one of the best known journalists in Quebec, with a masters degree in international journalism. She has worked with Radio-Canada, founded Pivot, Ricochet, and was the president of the Association of Independent Journalists of Quebec.
Her voice is necessary in 2025.
Enjoy this short piece by her in French and English.
Nothing Beats the Field
In an age of instant information—where data is a click away and social media never sleeps—it’s tempting to think we can understand everything from a screen.
The relentless pace of news production, and the culture of “doing more with less,” has pushed many journalists to travel less and rely more on secondhand sources. But nothing can replace direct experience in the field.
Being there—meeting people, walking the streets, seeing the dynamics at play—allows us to move beyond statistics and press releases. It’s also what cuts through misinformation spread by those who weren’t present to see events for themselves.
Take RadPride. Isaac was virtually the only journalist on the ground. While most outlets repeated the police version—that demonstrators provoked the charges—anyone present could see the opposite was true.
Numbers show that homelessness is rising; but only by listening to people living on the streets can we understand how and why. For our housing crisis investigation, we conducted nearly 30 interviews, almost all in person. Those encounters gave the work a depth that no virtual call could replicate.
“Lockdown journalism”
My colleague Hugo Meunier, now editor-in-chief at Urbania, called this trend “lockdown journalism.” Writing in Le Trente in 2020, he warned that the pandemic’s pivot to Zoom reporting risked entrenching a long-standing shift away from the field.
“Yes, it’s nice to post photos of makeshift setups and dalgona coffees,” he wrote. “But I fear this buzz will only deepen the distance between journalists and their true place: on the ground.”
Five years later, his fears have largely come true.
Behind our screens, we risk recycling official discourse and mistaking social media noise for reality. Only fieldwork can separate rumor from truth.
Why it matters
Fieldwork takes time, resources, and humility. It means recognizing that truth doesn’t live only in numbers or elite statements, but in streets, villages, and communities where life unfolds daily.
It also breaks stereotypes. Many voices cannot issue press releases or hire spokespersons. Their realities only surface when we go to meet them.
Presence builds trust. Entering a neighborhood with respect, listening before asking, and investing time turns testimonies into deeper insight. It acknowledges that lived expertise matters as much as any expert panel.
In an era where decision-makers drift ever farther from everyday realities, being in the field has never been more crucial. Journalism’s essence is still found in that simple act: leaving the office and bearing witness.
That is where stories take shape, contradictions appear, and the invisible becomes visible.
Rien comme le terrain
À l’ère de l’information instantanée et en continue, des données accessibles en un clic et des réseaux sociaux, la tentation est grande de croire que tout peut être compris depuis un écran.
Le rythme effréné de production de nouvelles exigé des journalistes dans certaines salles de nouvelles mène aussi à se déplacer de moins en moins, dans une culture de « faire toujours plus avec moins ».
Mais rien ne remplace l’expérience directe du terrain.
Aller à la rencontre des personnes concernées, voir les lieux, ressentir les ambiances, observer les dynamiques sociales et économiques en action : voilà ce qui permet de dépasser les statistiques et les communiqués de presse. Et de défaire une certaine désinformation qui circule de la part de personnes qui ne sont pas sur place pour constater les faits par eux-mêmes.
L’exemple récent d’Isaac, pratiquement le seul journaliste à avoir couvert la RadPride en est un bon. La très grande majorité des médias, qui n’étaient pas présents sur place, se sont contentés de rapporter le point de vue des policiers, lesquels expliquaient qu’ils avaient chargé la foule parce qu’ils ont été provoqué par les manifestants. Mais toutes les personnes présentes ont bien vu que c’est le contraire qui s’est passé.
Les chiffres peuvent révéler une tendance, mais ils n’expliquent pas toujours les nuances. Par exemple, savoir que le taux d’itinérance augmente est une information brute ; discuter avec ceux qui vivent dans la rue, comprendre leurs parcours et entendre leurs récits, c’est donner un visage et une profondeur humaine à ce constat. C’est ce qu’Isaac et moi avons faire pour notre grande enquête sur la crise du logement. Nous avons réalisé près d’une trentaine d’entrevues, dont seulement deux en trois virtuellement. Le fait d’aller sur le terrain et de faire des entrevues en personne ont donné une substance incomparable à nos contenus.
Le journalisme de confinement
Ce terme vient de mon estimé collègue Hugo Meunier, qui parlait lui aussi de l’importance du terrain dans un billet d’humeur en 2020 dans le magazine des journaliste du Québec, Le Trente.
Il parlait alors du fait qu’il a fallu se réinventer en temps de pandémie pour faire du journalisme à distance, rendu possible par divers outils technologique comme Zoom et autre. Mais il dénonçait, avec raison, que cette tendance existe depuis bien plus longtemps que la pandémie.
Il écrivait « Oui, c’est joli de publier sur les réseaux sociaux des photos de nos installations de fortune et de nos visages rieurs en train de flatter un chat ou siroter un café dalgona lors d’une réunion sur Zoom, mais je redoute qu’à terme, ce buzz exacerbe davantage cette tendance au confinement et n’éloigne encore un peu plus le journaliste du terrain, sa véritable place. »
Cinq ans plus tard, j’ai bien peu que son doute ne soit confirmé.
En restant derrière nos écrans, nous, journalistes, risquons de reproduire les discours officiels et de manquer ce qui fait la véritable richesse d’un sujet : l’expérience humaine. Les réseaux sociaux bruissent de rumeurs et d’indignations instantanées, mais seule la présence sur le terrain permet de distinguer le bruit de l’essentiel.
Bien sûr, le terrain demande du temps, des ressources et de l’écoute. Mais c’est aussi une posture d’humilité : accepter que la vérité ne se trouve pas uniquement dans les chiffres ni dans les paroles des élites, mais dans les rues, les villages et les communautés où elle se vit au quotidien.
Les yeux du cœur
Le terrain permet aussi de déjouer les idées reçues. Combien de stéréotypes s’effondrent lorsqu’on prend le temps d’écouter réellement les acteurs d’une situation ? Et surtout, les acteurs moins « officiels ». Ceux qui n’ont pas les moyens de faire paraître des communiqués de presse. Ceux qui n’ont pas de porte-parole officiel pour les représenter, et dont les numéros de téléphone ne sont pas publics, pour de bonnes raisons. Aucune autre façon que d’aller à leur rencontre en personne ne peut faire entendre leur voix.
La présence sur le terrain crée une relation de confiance. On n’aborde pas un quartier, une communauté ou un groupe social uniquement avec un questionnaire ou une caméra : on y entre en respectant les codes, en prenant le temps d’échanger. Cette proximité rend les témoignages plus riches, les analyses plus solides et les décisions plus éclairées.
On ne détient pas toutes les réponses depuis son bureau. Ce sont les personnes concernées qui savent le mieux ce qu’elles vivent. Être présent physiquement, c’est reconnaître cette expertise vécue et lui donner la place qu’elle mérite.
Dans un monde où la distance est de plus en plus grande entre les centres de décision et la réalité quotidienne des citoyens, l’importance d’aller sur le terrain n’a jamais été aussi cruciale. C’est là, dans les rues, les foyers, les écoles, les hôpitaux ou les lieux de travail, que se trouvent les clés pour comprendre et agir de manière juste et pertinente. C’est là, loin des déclarations officielles et de communiqués bien ficelés, que le journalisme trouve encore son essence dans un geste simple, mais essentiel : aller sur le terrain. C’est là, au cœur des réalités vécues, que les histoires prennent forme, que les contradictions apparaissent et que l’on découvre ce qui serait autrement invisible.