Quebec Media Failing at International Coverage / Les médias québécois échouent dans leur couverture internationale
Gabrielle Brassard-Lecours bi-weekly op-ed / L'éditorial de Gabrielle Brassard-Lecours bi-hebdomadaire.
Photo taken from Pivot and Gabrielle’s piece on Senegal Wrestling
VERSION FRANÇAISE CI-DESSOUS
International reporting has long been my focus within Quebec’s journalistic ecosystem, even if I’ve never done as much of it as I’d like.
Few people know this, but I earned a master’s degree in International Journalism from Université Laval in 2012. I didn’t choose the program thinking I’d emerge as a foreign correspondent—many are called, few are chosen—I did it to understand the mechanics of this specialized beat. I also knew the program’s hands-on approach would let me travel and experience international journalism in the field.
I spent two months in Senegal working as a reporter for a national daily and for Agence Science-Presse. That stint taught me a lot about the indifference (or rather, the *dis-*interest) Quebec shows toward international issues.
In May 2011, an historic revolution erupted in Senegal– one of Africa’s more stable nations. The public rose up to defend democracy, giving birth to Y’en a marre, a youth- and artist-led movement that later inspired uprisings elsewhere on the continent.
While covering the daily protests in Dakar for AFP, I pitched Quebec outlets because what was happening was unprecedented and clearly newsworthy. I got replies such as, “We don’t really have economic ties with Senegal, so we won’t cover it,” or “It’s a bit far for our audience to care.”
I was stunned.
I’ll never forget an instance when a hurricane ravaged Cuba and Quebec coverage focused on vacationers whose resort trips were spoiled—nothing about Cubans whose homes were destroyed.
This brings me to the “death-distance” principle, an unwritten yet consciously applied newsroom rule: the closer a death is geographically (or culturally), the bigger its media impact. Put bluntly: “One death in Montreal is worth more than a thousand in Africa or Asia,” in media and emotional terms for some Western societies. Says it all.
This led to my thesis: how Quebec’s mainstream media handle international news. I interviewed several assignment editors, and they were unequivocal about why foreign coverage is scarce (and shallow): “People aren’t interested in world news, so why should we cover it?”
A jaw-dropping answer. Isn’t it a core mission of the media to spark interest in issues both local and global? It’s the chicken-or-egg problem: the more you educate, the more people care. Right?
After my master’s, I landed a researcher job on a daily international-news radio show at Radio-Canada International (RCI). Under budget cuts by the then-Conservative federal government, Radio-Canada kept about thirty out of a hundred. I was among those laid off. Beyond the personal setback, I found it profoundly discouraging for foreign coverage in Quebec media, especially at Radio-Canada, one of the few outlets with the means to do it.
International reporting does require hefty resources—human, material, financial. That’s why most outlets relay wire-service copy from Reuters, AFP, or AP (which have large budgets and global bureaus,) or they rely on underpaid freelancers. The result is that we drift away from the field there isn’t reporting from a distinctly Quebec purview.
But what is information worth without direct presence? Without lived experience that lets you grasp more than stats and press releases? Without Quebec journalists on the ground, we risk reducing the world to background noise.
In Quebec, a few correspondents are posted in major world cities and often must cover two or three adjacent regions. Journalists are dispatched for a few days to cover conflicts (mostly Western) and U.S. politics. Every year, foreign bureaus close. In 2022, Radio-Canada shut its Beijing and Moscow offices. Earlier, bureaus in Dakar and elsewhere had also shut down.
Resources matter, but so do editorial choices. International reporting shouldn’t hinge solely on Canada’s or Quebec’s economic ties with a country where something important is happening.
And on the rare occasions we do cover foreign stories, some editors think the public won’t care unless Québécois are involved.
A glimmer of hope: for several years there’s been a grant program—the Quebec Fund for International Journalism—created by three Quebec foreign reporters. These grants enable outstanding reporting on a wide range of subjects, far from economic-tie calculations and the death-distance rule. I urge you to explore the resulting work.
Still, it’s only one program. We need many more to help us discover the world through journalism. Preserving international reporting in Quebec isn’t just a media affair; it’s a collective choice. Supporting reporters in the field, funding independent initiatives, recognizing the importance of this work—these are investments in our ability to understand the rest of the planet.
Le journalisme international, c’est mon cheval de bataille depuis longtemps dans l’écosystème journalistique québécois, même si je n’en ai jamais fait assez à mon goût.
Peu de gens le savent, mais j’ai obtenu une maîtrise en journalisme international de l’Université Laval en 2012. J’avais choisi ce programme non pas en pensant que j’en sortirai en étant une correspondante internationale (beaucoup d’appelé-es, peu d’élu-es…), mais pour mieux comprendre les rouages de ce « beat » spécialisé. Et aussi parce que je savais que cette maîtrise, très pratique, nous permettaient de voyager et d’expérimenter de façon concrète ce qu’était le journalisme international.
J’ai donc passé deux mois au Sénégal à y travailler en tant que journaliste, dans un journal national et à l’Agence Science Presse. Dès cette expérience, j’en ai appris beaucoup sur l’intérêt, ou plutôt, le non-intérêt, que l’on porte aux enjeux internationaux au Québec.
En mai 2011, une révolution historique a eu lieu au Sénégal, un rare pays africains plutôt tranquille. Le peuple s’est soulevé pour préserver la démocratie, mettant au monde un mouvement principalement initié par les jeunes et les artistes, « Y’en a marre », qui a inspiré nombre de révolutions africaines par la suite. Alors que je couvrais les manifestations quotidiennes à Dakar pour l’AFP, je lançais des perches aux médias québécois, parce que ce qui se passait au Sénégal était inégalé et tout à fait d’intérêt public et important. On m’a répondu des choses comme « nous n’avons pas vraiment de liens économiques avec le Sénégal, donc on ne couvrira pas », ou encore « c’est un peu loin pour susciter l’intérêt ».
J’étais absolument bouche bée et renversée de cette mentalité médiatique.
Je n’oublierai jamais quand un ouragan avait dévasté Cuba, et que la couverture québécoise portait sur les vacanciers dont les vacances dans un tout inclus avaient été gâchées par cette « catastrophe naturelle ». Aucun mot sur les Cubains, les impacts sur leurs vies, leurs maisons détruites, etc.
Cela m’amène au principe du mort kilométrique, une règle non écrite mais sciemment appliquée dans les salles de nouvelles. Plus un mort est proche géographiquement (ou culturellement), plus il aura d'impact médiatique. Autrement dit : "Un mort à Montréal vaut plus qu’un millier en Afrique ou en Asie", d’un point de vue médiatique ou émotionnel dans certaines sociétés occidentales. Ça dit tout.
Cela m'a conduit à ma thèse ; le traitement des enjeux internationaux par les médias québécois traditionnels. Dans ce cadre, j’ai discuté avec plusieurs affectateurs – des personnes en charge de distribuer les sujets à couvrir aux journalistes dans les salles des nouvelles – et ces derniers étaient sans équivoque sur les raisons pour lesquelles on couvre peu (et mal) les enjeux internationaux ; « les gens ne s’intéressent pas à l’actualité internationale, donc pourquoi le ferions-nous » ? Une autre réponse qui m’a complètement soufflée.
N’est-ce pas la mission fondamentale des médias d’intéresser les gens aux enjeux d’ici et d’ailleurs ? C’est la poule ou l’œuf. Plus on éduque les gens sur des sujets, plus ils s’y intéresseront. Non ?
Tout de suite après ma maîtrise, j’ai eu la chance d’être engagée en tant que recherchiste pour une émission quotidienne de radio sur l’actualité internationale à Radio-Canada International (RCI). Sous les coupes budgétaires du gouvernement conservateur de l’époque, Radio-Canada a choisi de garder une trentaine de journalistes sur la centaine que nous étions. J’ai fait partie du lot des personnes coupées. Mais je trouvais surtout cela éminemment triste pour la place de l’actualité internationale dans les médias québécois, et surtout à Radio-Canada, l’un des seuls médias qui avaient les moyens d’en faire.
Il faut quand même souligner que le journalisme international demande beaucoup de ressources, humaines, matérielles et financières. Cela explique notamment pourquoi les médias, en général, relaient les sujets internationaux des grandes agences de presse comme Reuters, l’AFP et l’Associated Press, qui elles, ont de grands moyens et des personnes en poste dans plusieurs pays. On se tourne sinon vers des pigistes précaires. Résultat : on s’éloigne du terrain, on s’éloigne du regard québécois.
Mais que vaut une information sans cette présence directe, sans cette expérience vécue qui permet de comprendre au-delà des chiffres et des communiqués ? Sans journalistes québécois sur le terrain, nous risquons de réduire le monde à un bruit de fond indistinct
Au Québec, quelques correspondants sont en poste dans de grandes villes à l’international et ont souvent la charge de couvrir les deux trois continents adjacents. On envoie ponctuellement des journalistes, quelques jours, pour couvrir des conflits (surtout occidentaux) et la politique américaine. Mais chaque année, des antennes internationales ferment. En 2022, les bureaux de Radio-Canada à Pékin et à Moscou ont fermé. Avant cela, des bureaux à Dakar et ailleurs avaient aussi été fermés.
Mais au-delà des ressources financières, il s’agit aussi de choix éditoriaux. Parce que oui, faire du journalisme international et choisir des sujets devrait aller au-delà des liens économiques que le Canada et le Québec a avec les pays dans lesquels il se passe quelque chose d’intéressant.
Et les rares fois où le fait, certains médias pensent que si des Québécois n’y sont pas impliqués, le public ne sera pas intéressé.
Une lueur d’espoir pour terminer. Depuis quelques années, il existe un programme de bourses pour le journalisme international ; le Fonds québécois en journalisme international, mis sur pieds par trois journalistes internationaux québécois. Ces financements permettent d’aller réaliser des reportages incroyables, sur une foule de sujets, loin des liens économiques et de la Loi du mort kilométrique. Je vous invite d’ailleurs à découvrir tous les reportages qui ont en découler.
Il s’agit néanmoins juste d’un programme. Il en faudrait beaucoup d’autres pour nous faire découvrir le monde à travers le journalisme. Préserver le journalisme international au Québec n’est pas qu’une affaire de médias, c’est un choix collectif. Soutenir les journalistes qui partent sur le terrain, financer des initiatives indépendantes, reconnaître l’importance de ce travail, c’est investir dans notre capacité de comprendre le monde autrement qu’à travers des prismes étrangers.